Chapitre 27

INTERVENTION

Les chevaux étaient à bout de souffle.

Pourtant, les cavaliers les encourageaient à avancer, priant pour que leurs montures tiennent une journée de plus. Jimmy leur imposait à tous une allure éprouvante, de l’aube au crépuscule, en ne ménageant que de petites pauses, aussi courtes que possible. Les conséquences de cette marche forcée commençaient à apparaître sur les pauvres bêtes dont les côtes saillaient là où elles possédaient d’amples réserves de graisse et une robe bien lisse à peine quelques jours auparavant.

Six chevaux s’étaient mis à boiter, obligeant leurs cavaliers à les reconduire à Port-Vykor en les menant par la bride ou à suivre les autres à pied, dans l’espoir qu’ils trouveraient une armée du royaume à leur arrivée. Deux autres bêtes étaient si mal en point que l’on avait été obligé de les abattre.

La troupe n’allait pas tarder à arriver en vue de Krondor. Ce n’était plus qu’une question de minutes. Jimmy se surprit de nouveau à espérer qu’il s’était trompé et qu’ils allaient trouver la cité paisible et ses habitants vaquant à leurs occupations quotidiennes. Il endurerait volontiers les plaisanteries et les railleries qui ne manqueraient pas de le poursuivre pendant des années si c’était le cas. Mais au fond de lui, il sentait qu’il était sur le point de se jeter tête la première dans une bataille.

Il gravit une petite hauteur et se retrouva devant une caravane appartenant à l’intendance keshiane. La plupart de ses membres n’étaient que des gamins, mais ils comptaient également quelques gardes prêts à défendre les fournitures de leur armée.

— Laissez la vie sauve aux enfants ! s’écria Jimmy en tirant son épée.

Les gamins de l’intendance s’éparpillèrent, mais les Chiens Soldats qui gardaient la caravane firent face à la troupe de Jimmy et engagèrent le combat.

 

Dash courait sur les remparts. Les Keshians se préparaient à attaquer. Leur héraut s’était montré poliment méprisant, une qualité que Dash aurait pu admirer si la mort de Trina ne l’avait pas plongé dans une rage quasi-meurtrière. Il avait dû se maîtriser pour se retenir de prendre un arc et d’abattre le héraut lorsqu’il s’était présenté une troisième fois sur son cheval pour exiger la reddition de Krondor.

Patrick était de retour au palais et sous bonne protection, au cas où d’autres agents keshians tenteraient une nouvelle fois de le tuer. Dash songea que, s’ils réussissaient à survivre à l’attaque de la cité, il leur faudrait entreprendre de longues et pénibles recherches pour découvrir tous les espions infiltrés par Kesh. Il chassa de ses pensées le découragement que cela lui inspirait.

Des trompettes retentirent et des cors de guerre résonnèrent. Alors les fantassins keshians s’avancèrent. Par groupes de dix en file indienne, ils apportèrent des échelles. Dash avait du mal à croire qu’ils apportaient les échelles dès le premier assaut, sans lourdes machines de guerre ni tortue pour protéger les hommes. Puis une centaine d’archers montés s’avancèrent à leur tour.

— Préparez-vous à plonger ! s’écria Dash.

De nouveau, un cor résonna. Les soldats qui portaient les échelles se mirent à courir tandis que les archers éperonnaient leurs montures et passaient entre les rangées de fantassins. Ils décochèrent une volée de flèches et Dash se prit à espérer que tout le monde avait entendu son avertissement. Le fracas des flèches sur la pierre et les boucliers et quelques rares jurons et cris de douleur lui permirent de comprendre que la plupart avaient bien entendu. Puis ses propres archers se relevèrent et firent pleuvoir les flèches à leur tour sur les assaillants au pied des murs de la ville.

— Faites passer la consigne, ordonna Dash, accroupi derrière un merlon : il faut viser les types avec les échelles. On s’inquiétera des archers montés plus tard.

Les soldats qui l’entouraient firent passer le mot et les archers krondoriens se relevèrent encore pour tirer sur les porteurs d’échelle. Puis ils se baissèrent pour éviter une nouvelle volée de flèches ennemies. Dash, toujours accroupi, se déplaça au bord du chemin de ronde et s’adressa à l’un de ses policiers en contrebas :

— Continuez à patrouiller la ville. On ne sait jamais, s’ils tentaient encore d’entrer par les égouts.

L’agent partit en courant. Dash retourna prendre place sur le rempart. Un garde du palais accourut :

— Nous avons trouvé l’espion, shérif.

— Qui est-ce ?

— Un autre secrétaire, un dénommé Ammes. Il est rentré dans la salle des gardes en disant que vous ordonniez à tout le monde de se rendre aux portes de la ville.

— Où est-il à présent ?

— Il est mort, répondit le garde. Il faisait partie des types qui ont tenté d’ouvrir la porte du Sud et il est mort au cours du combat.

Dash acquiesça et prit note de veiller à ce qu’aucun serviteur ou fonctionnaire du palais ne garde ses fonctions sans avoir subi d’enquête approfondie. Il s’était montré trop négligent durant la période où le prince se trouvait encore à la Lande Noire et où lui, Dash, avait assuré la transition entre le règne de Duko et le retour de Patrick. Malar et les autres avaient réussi à infiltrer le personnel du palais trop facilement – ce qui signifiait que Kesh prévoyait cette offensive bien avant de signer le traité de paix à la Lande Noire l’année précédente.

Mais Dash continua à contenir sa rage, sa frustration et la colère que lui inspiraient la mort de Trina et l’attaque de la cité. Il jura que si les Keshians réussissaient à passer sur les remparts, il en tuerait plus que tout autre défenseur de Krondor.

Et si la cité échappait à cette invasion keshiane, Dash veillerait à tenir sa promesse envers Trina.

 

Ils atterrirent dans une clairière à quelques kilomètres d’Ylith. Pug descendit du dos du dragon d’un pas chancelant et alla s’asseoir dans l’herbe.

Miranda prit place à côté de lui :

— Est-ce que ça va ?

— J’ai encore la tête qui tourne, répondit son mari.

— Où va-t-on maintenant ? demanda Tomas.

— Dans plusieurs endroits, et pas tous ensemble, répondit Nakor. Toi, Tomas, pourquoi ne pas demander à ton amie de te ramener auprès de ton épouse ? Il y a encore beaucoup à faire, mais tu peux rentrer chez toi en sachant que tu as sauvé Elvandar et ses habitants, du moins dans un avenir proche.

— J’aimerais d’abord avoir quelques explications, protesta Tomas.

— Il a raison, renchérit Miranda. C’était quoi, cette créature ?

— Je n’avais jamais rien vu de tel, avoua le guerrier. Pourtant, la mémoire d’Ashen-Shugar est vaste.

— C’est parce qu’aucun Valheru n’a jamais rencontré un être comme Zaltais, répondit Nakor en s’asseyant sur l’herbe à côté de Pug. Principalement, sans doute, parce qu’il ne s’agit pas d’une créature.

— Comment ça ? fit Miranda. Tu ne pourrais pas essayer de nous donner une explication simple et sans fioritures, pour une fois ?

Nakor sourit.

— Tu me rappelles ta mère, dans ses bons côtés.

— Parce qu’elle en avait ? répliqua la magicienne sans chercher à dissimuler son mépris.

— Oh oui, mais c’était il y a très très longtemps, répondit Nakor du ton le plus joyeux que ses compagnons aient jamais entendu chez lui.

— Alors, qu’en est-il de Zaltais ? intervint Pug en ramenant la conversation à son point de départ.

— Fadawah a commencé à pratiquer la magie noire sous l’influence de son conseiller, Kahil, expliqua Nakor. Je crois que ce dernier se trouve à l’origine de tout ce qui s’est passé sur Novindus depuis le début de cette histoire. Au départ, il n’était que la marionnette des Panthatians, mais il a réussi à gagner une certaine liberté qu’il a utilisée pour atteindre une position d’influence et manipuler les autres à son tour… (Il hésita, puis poursuivit :) De la même façon que Jorna est devenue dame Clovis et a contrôlé le Chef Suprême et le magicien Dahakon il y a vingt ans. Kahil se tenait aux côtés de Fadawah depuis le départ. Il a réussi à survivre et a continué à conseiller le général… Bref, je suppose qu’il a réussi à le convaincre de faire appel aux mêmes pouvoirs qui ont détruit la reine Émeraude et le Roi Démon. Mais en réalité, Kahil agissait au nom de cette entité dont nous ne devons pas parler. Comme tous les serviteurs du Sans-Nom, il ne savait même pas qu’on le manipulait encore… Il se sentait juste poussé à agir comme ça.

— Et Zaltais ? insista Miranda. Que voulais-tu dire par « Ce n’est pas une créature » ?

— Il n’appartient pas à notre réalité, encore moins que les démons ou les terreurs. Il est issu du Septième Cercle de l’enfer.

— Oui, mais quelle est sa nature ? demanda Pug.

— Ce n’était qu’une pensée, probablement un rêve.

— Une pensée ? répéta Tomas.

— Et la chose que j’ai vue à travers la faille ? ajouta Pug.

— Tu as vu l’esprit d’un dieu, répondit Nakor.

— Je ne comprends pas, avoua le magicien.

— Cela viendra, dans quelques centaines d’années, assura Nakor. Pour le moment, dis-toi qu’un dieu est en train de dormir et que, dans son sommeil, il a rêvé et que, dans ce rêve, il s’est imaginé qu’une minuscule créature a prononcé son nom, devenant par-là même sa marionnette. Toujours dans son rêve, cette marionnette a provoqué le chaos et l’a appelé, et il a envoyé son ange du désespoir répondre à l’appel. Et l’ange s’est mis au service de la marionnette.

— Mais pourquoi est-ce qu’on ne pouvait pas tuer Zaltais ? demanda Miranda.

Nakor sourit.

— Parce qu’on ne peut pas tuer un rêve, Miranda, même un rêve aussi maléfique. On ne peut que le renvoyer d’où il vient.

Tomas se tapota la lèvre.

— Moi, je l’ai trouvé plutôt réel, pour un rêve.

— Oh, mais le rêve d’un dieu est la réalité, rétorqua Nakor.

— Nous devrions repartir, intervint Pug.

— Où allons-nous ? demanda sa femme. On rentre sur l’île ?

— Non, dit Nakor. Il faut avertir le prince que le chef de l’armée ennemie est mort.

— D’accord, partons pour Krondor, décréta Pug.

— Juste une chose encore, intervint Miranda.

— Oui ? fit Nakor.

— Il y a quelque temps, tu m’as dit que le démon Jakan avait remplacé ma mère à la tête de cette armée. Mais tu ne m’as jamais dit ce qui lui était arrivé.

— Ta mère est morte, affirma Nakor.

— Tu en es sûr ?

— Sûr et certain, acquiesça l’Isalani.

Pug se leva. Il se sentait encore secoué.

— Ryana va me ramener en Elvandar, annonça Tomas.

Pug donna l’accolade à son vieil ami.

— Encore une fois, on se dit au revoir.

— Nous nous reverrons, assura Tomas.

— Porte-toi bien, mon vieil ami, lui souhaita Pug.

— Et vous trois aussi, répondit le guerrier.

Il grimpa de nouveau sur le dos du dragon qui s’élança dans les cieux. En deux battements d’ailes, elle vira vers l’ouest et entreprit de regagner Elvandar.

— Tu te sens de nous mener tous à Krondor ? demanda Pug à Miranda.

— Oui, ça va aller.

La magicienne prit ses deux compagnons par la main et ferma les yeux. Autour d’eux, le monde se mit à tournoyer.

Tous trois apparurent alors dans la grande salle du palais princier de Krondor, au moment où les cors de guerre appelaient les troupes de réserve à rejoindre la porte principale.

 

— Si vous n’arrivez pas à vous glisser derrière la porte pour la déverrouiller de l’intérieur…, commença Gustave.

— Il ne vous reste plus qu’à l’enfoncer, acheva Dash.

Un grondement s’éleva tandis que les Keshians faisaient rouler leur bélier en direction de la porte principale. La route de l’Est qui permettait d’accéder à la cité descendait d’une série de collines. L’énorme bélier, comprenant cinq troncs attachés ensemble par de lourdes cordes, prit de la vitesse dans cette longue descente. Des cavaliers chevauchaient de part et d’autre, le guidant à l’aide de cordes. Lorsqu’ils parvinrent au dernier bout de route juste avant la porte, ils lâchèrent les cordes et partirent sur les côtés tandis que le bélier gagnait encore de la vitesse.

Le grondement se fit plus fort alors que l’engin arrivait à moins de cinquante mètres de la porte. Par réflexe, Dash agrippa les pierres du rempart dans l’attente de l’impact.

Puis quelqu’un se glissa entre Gustave et Dash, les bousculant au passage, et tendit la main par-dessus le mur. Un voile de lumière jaillit de sa paume. Dash se tourna vers lui et vit qu’il s’agissait de son arrière-grand-père.

— Assez ! s’écria Pug, la colère inscrite sur le visage, tandis que le bélier explosait en un millier d’échardes enflammées.

Les Keshians s’attendaient à tout sauf à cette démonstration de magie. Leur attaque tourna court lorsque les cavaliers se retrouvèrent brusquement face à un très haut mur d’enceinte abritant des archers au lieu d’une porte ouverte par laquelle ils auraient pu charger.

Ils tirèrent sur les rênes de leurs montures et tournèrent sur place, indécis, tandis que les défenseurs de la cité décochaient une volée de flèches.

— Non ! cria Pug.

D’un geste de la main, il fit apparaître un rideau de feu qui transforma les flèches en cendres brûlantes juste sous le nez de leurs cibles.

— Je ne vois ici aucun officier, ajouta-t-il en se tournant vers Dash. C’est toi qui es en charge de la défense ?

— Oui, pour le moment.

— Dans ce cas, ordonne à tes hommes de ne plus tirer.

Dash s’exécuta et les Keshians retournèrent sains et saufs vers leurs propres lignes.

— Envoie un héraut parler au commandant keshian. Dis-lui que je veux le rencontrer au palais princier dans une heure.

— Au palais ? répéta Dash.

— Oui. Quand il se présentera, ouvre-lui la porte et laisse-le entrer.

— Et s’il ne vient pas ?

Pug se retourna, agita la main à l’intention de Nakor et Miranda qui se trouvaient derrière le corps de garde et répliqua :

— S’il ne vient pas, j’anéantirai son armée.

— Mais qu’est-ce que je lui dis ? insista Dash.

— Dis-lui que la guerre est finie.

 

Patrick, pâle et visiblement affaibli, se tenait debout devant son trône lorsque le général Asham ibn Al-Tuk entra dans la salle, flanqué d’un garde du corps et d’un serviteur.

— Je suis là, Votre Altesse, dit-il en s’inclinant sans enthousiasme.

— Je n’ai pas demandé à vous rencontrer, protesta Patrick.

Pug s’avança.

— Moi, si.

— Et vous êtes ?

— On m’appelle Pug.

Le général haussa les sourcils, preuve qu’il connaissait ce nom.

— Le magicien du port des Étoiles.

— Lui-même.

— Pourquoi m’avez-vous fait venir ?

— Pour vous intimer de rappeler votre armée et de rentrer chez vous.

— Si vous croyez que votre petite démonstration de tout à l’heure suffira à…

Brusquement, un garde entra en courant dans la pièce :

— Votre Altesse, des combats ont éclaté !

— Je suis venu sous drapeau blanc ! protesta le général.

— Où se déroulent les combats ? demanda Patrick au garde.

— À l’extérieur de la ville ! On dirait que des régiments de cavalerie venant à la fois du nord et du sud ont attaqué les Keshians.

— Général, il ne s’agit pas de régiments sous mes ordres actuellement, expliqua le prince. Il s’agit de toute évidence de troupes envoyées en renforts et qui n’ont pas connaissance de cette tentative de pourparlers. Vous êtes libre de rejoindre vos hommes.

Le général s’inclina et fit mine de tourner les talons, mais Pug s’interposa :

— Non !

— Comment ? s’écrièrent le prince et le général d’une seule voix.

— Tout ceci doit s’arrêter ! s’exclama Pug.

Il disparut.

— Il s’en sort bien pour quelqu’un d’aussi fatigué, tu ne trouves pas ? commenta Nakor, qui se tenait dans un coin de la pièce en compagnie de Miranda.

— Oui, c’est vrai, reconnut la magicienne avec un faible sourire.

Pug réapparut dans les airs au milieu du champ de bataille et vit des chariots de l’intendance en feu à l’arrière des lignes keshianes. Une autre compagnie de cavalerie dévalait la route du Nord qui longeait la côte, prenant les Keshians en tenailles entre deux régiments du royaume.

Pug s’éleva à trente mètres au-dessus de la bataille et frappa dans ses mains. La foudre tomba à ses pieds, projetant les cavaliers qui se trouvaient juste en dessous de lui à bas de leur selle.

Les soldats levèrent les yeux et virent un homme flottant dans les airs. Une brillante lumière apparut autour de lui, un halo doré aussi éclatant que le soleil. Lorsqu’il parla, sa voix retentit partout et chacun eut l’impression de l’entendre comme s’il se tenait juste à côté de lui :

— C’est terminé ! annonça-t-il.

D’un geste de la main, il fit naître dans les airs une vague qui balaya tout sur son passage, heurtant les chevaux et les jetant à terre, précipitant d’autres cavaliers au sol.

Les soldats tournèrent les talons et s’enfuirent.

Jimmy resta fermement assis sur son cheval qui se mit à ruer, pris de panique. Il tenta de reprendre le contrôle de l’animal qui, après deux nouvelles ruades, s’élança au galop. Jimmy le laissa faire, puis le fit virevolter et l’amena enfin à s’arrêter. Il lui fit de nouveau faire demi-tour et vit d’autres chevaux s’enfuir dans toutes les directions tandis que les Keshians regagnaient à la hâte leurs chariots en feu.

Jimmy jeta un coup d’œil en direction de son aïeul suspendu dans les airs. De nouveau, la voix de Pug répéta :

— C’est terminé.

Puis le magicien disparut.

 

— Bah, au moins tu as obtenu qu’ils arrêtent de se battre pour l’instant, déclara Nakor.

Pug, Miranda et lui se trouvaient dans une salle déserte du palais. Le prince s’était retiré dans ses appartements et le général avait rejoint son armée.

— Je vais veiller à ce qu’ils cessent les combats pour de bon, répliqua Pug.

— Sinon quoi ? s’enquit Miranda.

— Je suis las de ces tueries. Toute cette destruction m’écœure. Mais surtout, j’en ai marre de ces gens stupides que je vois partout où je pose le regard.

Pug songea à toutes les pertes qu’il avait subies à cause de la guerre, de Roland, son ami d’enfance, et du duc Borric jusqu’à Owen Greylock, un homme qu’il n’avait pas bien connu mais qu’il en était venu à apprécier au cours de l’hiver passé ensemble à la Lande Noire.

— Trop de gens bien ont péri. Trop d’innocents aussi. Cela ne peut pas continuer. S’il faut… je ne sais pas, s’il faut ériger un mur entre les deux armées, je le ferai.

— Tu trouveras un moyen, le consola Nakor. Quand le prince et le général auront eu le temps de se calmer, tu pourras leur dire tout ce que tu souhaites.

— Quand devez-vous vous réunir à nouveau ? demanda Miranda.

— Demain, à midi.

— Tant mieux, fit Nakor. Cela me laisse le temps de vérifier si ce qui devait se produire s’est bien réalisé.

— Voilà que tu recommences à te montrer énigmatique, l’avertit Miranda.

Nakor sourit.

— Venez avec moi et voyez par vous-même. On en profitera pour prendre quelque chose à manger.

Il conduisit ses compagnons hors de la pièce, puis du palais, et passa devant des soldats troublés qui montaient la garde en sachant qu’il leur faudrait peut-être à tout moment retourner sur les remparts prendre part à un terrible combat.

Au moment où ils sortaient du palais, ils virent des cavaliers entrer dans la cour d’entraînement par la porte du Sud. À leur tête, Pug aperçut son arrière-petit-fils et le salua d’un geste de la main.

Jimmy talonna sa monture pour rejoindre son aïeul et ses compagnons.

— Jolie démonstration, Pug. (Il sourit et le magicien sentit son cœur se serrer lorsqu’il décela un écho de Gamina dans ce sourire.) Vous avez sauvé la vie de mes hommes. Je vous en remercie.

— Je suis content de voir que tu fais partie de ceux qui ont bénéficié de mon intervention.

— Est-ce que Dash… ?

— Il est ici et il va bien. Jusqu’à ce que Patrick retrouve ses forces, c’est lui qui gouverne la cité, lui apprit Pug.

Jimmy se mit à rire.

— C’est bizarre, je ne crois pas qu’il apprécie beaucoup cette situation.

— Va le voir, lui conseilla Pug. Nous, de notre côté, on va passer la nuit au temple et on reviendra demain matin. Nous devons nous réunir à midi pour mettre un terme à cette stupide affaire.

— J’en serai plus que ravi, confia Jimmy. Duko fait des merveilles et réussit à garder le Sud sous contrôle, malgré les Keshians. Mais nous sommes durement mis à l’épreuve sur nos deux frontières et je n’ai pas la moindre idée de ce qui se passe dans le Nord.

— Là-bas aussi, la guerre est finie.

— Je suis soulagé de l’apprendre, arrière-grand-père. Je vous verrai demain matin.

— Venez, fit Nakor. Je veux savoir ce qui s’est passé.

 

Ils traversèrent d’un bon pas la cité dont l’activité revenait peu à peu à la normale à mesure que les habitants osaient sortir de chez eux. Cependant, il n’y avait pas encore grand monde dans les rues, ce qui leur permit d’atteindre la place des Temples rapidement.

Il n’y avait personne en vue aux abords de la tente. En revanche, lorsqu’ils entrèrent, ils trouvèrent une foule de gens assis par terre. Au centre se tenait Aleta, non plus en lévitation dans les airs, mais assise à même le sol elle aussi. La lumière qui l’entourait avait disparu, ainsi que cette noirceur maléfique qui planait au-dessous d’elle.

Dominic se précipita pour saluer les nouveaux arrivants.

— Nakor ! Je suis si content de vous revoir.

— Quand est-ce arrivé ? demanda Nakor.

— Il y a quelques heures. Aleta flottait dans les airs et puis, l’instant d’après, la noirceur a disparu, comme avalée par un trou ; Aleta s’est alors posée sur le sol, a ouvert les yeux et a commencé à parler.

Pug et ses compagnons se tournèrent pour écouter les paroles de la jeune femme.

— Elle n’a plus la même voix, s’écria aussitôt Nakor.

Pug ne savait pas à quoi ressemblait la voix de la jeune femme auparavant mais il était certain qu’elle ne ressemblait en rien à ce qu’il entendait à présent, car cette voix contenait de la magie. Aleta s’exprimait doucement mais on l’entendait bien si l’on prenait le temps de l’écouter. Sa voix avait quelque chose de musical.

— De quoi parle-t-elle ? s’enquit Miranda.

— Elle discourt de la nature du bien depuis qu’elle s’est réveillée, répondit Dominic. Quand vous avez créé ce temple, ajouta-t-il en regardant Nakor, et quand vous nous avez avoué vos intentions, j’étais sceptique, mais je savais que nous devions tenter le coup. Mais nous avons en ce moment sous les yeux la preuve absolue de la nécessité de partager le pouvoir d’Ishap avec l’ordre d’Arch-Indar, car devant nous se tient un avatar vivant de la déesse.

Nakor éclata de rire.

— Non, je n’irais pas jusque-là. Venez.

Il guida ses compagnons au sein de la foule et vint se camper devant la jeune femme. Celle-ci l’ignora et continua à parler. Nakor s’agenouilla et la regarda droit dans les yeux.

— Est-ce qu’elle répète toujours la même chose ?

— Eh bien, oui, je crois que oui, répondit Dominic.

— Quelqu’un a-t-il pris soin de noter ses paroles ?

— Deux de nos disciples enregistrent tout ce qu’elle dit, maître Nakor, répondit Sho Pi, assis sur le côté non loin de la jeune femme. C’est la troisième fois qu’elle nous répète la même leçon, elle en est juste au début.

— Tant mieux, parce que je parie qu’elle commence à se fatiguer et à avoir faim.

Nakor posa la main sur l’épaule d’Aleta qui s’arrêta au beau milieu de son discours.

Elle battit des paupières et regarda Nakor en disant :

— Que se passe-t-il ?

Sa voix avait changé, débarrassée de la magie qui la rendait apaisante et merveilleuse à peine quelques instants plus tôt. Elle était redevenue plus humaine, conforme à ce qu’on pouvait attendre chez une femme de son âge.

— Tu as dormi, expliqua Nakor. Pourquoi ne vas-tu pas manger quelque chose ? Nous parlerons plus tard.

— Oh, je me sens raide, se plaignit la jeune femme en se levant. J’ai dû rester assise comme ça un bon moment.

— Environ deux semaines, en fait, précisa l’Isalani.

— Deux semaines ! Tu n’es pas sérieux !

— Je t’expliquerai tout plus tard. Pour l’instant, va manger quelque chose. Puis je te conseille de faire une longue sieste.

— Si elle n’est pas un avatar, alors qu’est-ce qu’elle est ? demanda Dominic après le départ d’Aleta.

Nakor sourit d’un air malicieux.

— C’est un rêve – un rêve merveilleux, ajouta-t-il en regardant Pug et Miranda.

— Mais Nakor, elle est encore ici, elle, alors que Zaltais est parti, protesta la magicienne.

Nakor acquiesça.

— Zaltais était une créature de l’esprit. Il appartenait à une autre dimension et s’est retrouvé projeté dans la nôtre. Aleta est une femme tout à fait normale, mais quelque chose est passé entre les mondes pour l’atteindre et s’est servi d’elle pour contenir cette noirceur.

— C’était quoi, d’ailleurs, cette noirceur ? s’enquit Dominic.

— Un très mauvais rêve. Je vous expliquerai tout au dîner. Allons nous chercher quelque chose à manger.

— Très bien, soupira le prêtre. Il y a tout ce qu’il faut à la cuisine.

— Au fait, il va falloir effectuer quelques changements par ici, prévint Nakor tandis qu’ils partaient tous se restaurer.

— Lesquels ? demanda Dominic.

— En premier lieu, il va falloir avertir les Ishapiens que vous n’appartenez plus à leur ordre.

— Je vous demande pardon ?

Nakor passa un bras autour des épaules du prêtre.

— Vous paraissez très jeune, mais je sais que vous êtes un vieil homme comme moi, Dominic. Pug m’a raconté que vous vous êtes rendus tous les deux sur Kelewan, le monde des Tsurani. Je sais que vous avez vu beaucoup de choses.

« Sho Pi est parfait pour apprendre aux jeunes disciples comment devenir des moines, mais c’est vous qui devrez servir de professeur à Aleta.

— Et que dois-je lui apprendre ? s’enquit Dominic.

— Ce que doit faire la haute-prêtresse de l’ordre d’Arch-Indar, bien sûr.

— Quoi, vous voulez que cette fille devienne haute-prêtresse ?

— « Cette fille » ? répéta Nakor d’un ton indigné. Il me semble qu’il y a quelques minutes, vous la preniez pour l’avatar de la déesse, n’est-ce pas ?

Miranda éclata de rire. Pug passa un bras autour des épaules de sa femme. C’était la première fois depuis bien longtemps qu’il avait envie de rire lui aussi.

 

— Tout ce qu’on peut supposer, c’est que Subai a réussi à prévenir le magicien, déclara Erik. D’après nos informations, les combats ont cessé partout au moment où les cadavres sont retombés sur le sol.

— Que les dieux en soient remerciés, dit le comte Richard.

— Si seulement nous avions encore notre cavalerie, ajouta Erik d’un air songeur. J’ai le sentiment qu’on pourrait envoyer nos troupes jusqu’à Ylith sans rencontrer trop de résistance.

— Vous n’avez qu’à envoyer des fantassins et vous verrez bien jusqu’où ils peuvent aller.

Erik sourit.

— C’est déjà fait. Et je vais demander à Akee et à ses hommes de traverser les collines pour se rendre à Yabon.

— Vous croyez qu’un jour on saura ce qui s’est vraiment passé ? lui demanda Richard.

Erik secoua la tête.

— Sans doute pas. J’ai déjà pris part à des batailles où je ne sais toujours pas ce qui s’est passé. Nous lirons sûrement plus de rapports sur ce conflit que nous ne le souhaitons, et j’en rédigerai sans doute quelques-uns moi-même mais, pour être franc, je n’ai pas la moindre idée de ce qui s’est vraiment passé.

« On s’efforçait de repousser une armée de zombies et de tueurs fous lorsque brusquement les cadavres sont retombés et les tueurs se sont mis à errer la bouche ouverte comme s’ils étaient devenus débiles. Je n’ai jamais entendu parler d’une bataille qui soit passée de désespérée à facile en l’espace d’une seconde. Mais, pour être honnête, je m’en moque, avoua le jeune capitaine, extrêmement fatigué. Tout ce qui compte, c’est que ce soit fini.

— Vous êtes un jeune homme remarquable, Erik de la Lande Noire. Je ne manquerai pas de le mentionner dans le rapport que je présenterai au roi.

— C’est gentil, mais il y a beaucoup de soldats dehors qui méritent plus de louanges que moi. (Il soupira et regarda à l’extérieur de la tente.) Et il y en a beaucoup aussi qui ne rentreront pas chez eux.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda le comte Richard.

— Puisqu’on n’a pas de cavalerie, je serais enclin à dire qu’il vaut mieux rester là en attendant d’avoir des nouvelles de Krondor. Mais mon instinct me souffle qu’il faut pousser vers le nord aussi rapidement que possible. Fadawah s’est peut-être enfui, à moins qu’il ait été tué, mais ça ne veut pas dire que l’un de ses capitaines ne va pas essayer de s’emparer du pouvoir et de se tailler un petit royaume. En plus, à ma connaissance, la cité de Yabon est toujours assiégée.

— Je suis moi-même fatigué de rester immobile, avoua le comte Richard. Informez nos hommes que nous partons.

Erik sourit et se leva.

— Oui, messire, dit-il en s’inclinant.

Il sortit de la tente de commandement et trouva Jadow Shati près du campement des Aigles cramoisis.

— Levez le camp ! ordonna-t-il. Et préparez-vous au départ !

— Vous avez entendu le capitaine ! beugla l’ancien sergent. Tout le monde doit être prêt à partir dans une heure !

Jadow se retourna et sourit à son vieux compagnon. Erik s’aperçut alors une fois de plus qu’il ne pouvait résister au sourire du brave homme et le lui rendit.

 

De toute évidence, Patrick était en voie de guérison complète. Il avait retrouvé un teint normal et se tenait fermement assis sur son trône.

Le général keshian Asham ibn Al-Tuk se trouvait quant à lui debout devant le prince et paraissait encore moins ravi que lors du dernier entretien, car il faisait face à une armée renforcée par des unités de cavalerie venues du Nord et de Port-Vykor.

Pug entra dans la salle.

— Vous nous avez demandé d’être là à midi, Pug, déclara Patrick. Qu’avez-vous à nous dire ?

Pug regarda Patrick, puis le général, avant de répondre :

— Cette guerre est terminée. Général, vous allez permettre à vos soldats de se reposer une journée supplémentaire sous les remparts de cette cité. Ensuite, demain à la première heure, vous repartirez pour le sud. Vous repasserez l’ancienne frontière au sud de Finisterre et donnerez l’ordre aux troupes keshianes de mettre fin aux attaques contre cette région. Vous porterez également à votre empereur le message suivant : « Si Kesh devait à nouveau monter vers le nord sans y être invité, tout homme qui serait pris à franchir la frontière les armes à la main serait exécuté. »

Le général, livide et tremblant de rage, ne répondit pas mais hocha la tête.

Patrick, quant à lui, rayonnait et affichait un sourire triomphant.

— Ne traînez pas, Keshian, sinon mon magicien détruira votre armée sur-le-champ.

Pug se retourna.

— « Votre magicien » ? (Il s’avança droit sur le jeune prince et gravit les marches de l’estrade pour se camper devant lui.) Je ne suis pas « votre » magicien, Patrick. J’appréciais votre grand-père, que je compte parmi les plus grands hommes que j’aie rencontrés et je chéris le souvenir de votre arrière-grand-père Borric, qui m’a donné le nom de ConDoin. Mais mon âme ne vous appartient pas. Il existe dans l’univers des forces qui sont à vos misérables rêves de gloire et de pouvoir ce qu’une inondation est à une goutte d’eau. Ce sont ces forces qui retiennent mon attention. Je refuse de continuer à regarder des femmes et des enfants innocents se faire massacrer et de braves hommes mourir parce que leurs souverains sont trop stupides pour admettre l’abondance qui est la leur.

Pug se tourna de nouveau vers le général keshian :

— Vous pouvez également dire à votre empereur que si un soldat du royaume passait vos frontières sans y avoir été invité, lui aussi serait détruit.

— Comment ! se récria Patrick en se levant. Vous osez menacer le royaume ?

— Je ne menace personne, répondit Pug. Simplement, je vous avertis que je ne vous laisserai pas mener de représailles contre Kesh. Chacun va s’en retourner du bon côté de la frontière et agir en voisin civilisé.

— Vous êtes un duc du royaume, un membre de la famille royale par adoption et un vassal de la couronne ! Si je vous demande de détruire cette armée à nos portes, vous le ferez !

Pug sentit la colère monter en lui et regarda droit dans les yeux le jeune homme, pourtant plus grand que lui.

— Non, je ne le ferai pas. Vous ne sauriez m’obliger à agir contre ma volonté. Si vous voulez tuer les Keshians qui campent sous vos remparts, prenez une épée et faites-le vous-même.

Patrick explosa.

— Traître !

Pug posa la main sur l’épaule du jeune homme et le repoussa sur son trône. Dans toute la salle, les gardes portèrent la main à leur épée pour protéger leur prince. Aussitôt, Miranda s’avança en levant la main :

— Je ne ferais pas ça si j’étais vous.

Nakor la rejoignit en levant son bâton.

— Ne vous inquiétez pas pour le garçon.

Pug se pencha jusqu’à se retrouver presque nez à nez avec Patrick.

— Vous n’avez jamais pris part à une bataille digne de ce nom. Vos plus hauts faits d’armes se limitent à quelques escarmouches contre les gobelins dans le Nord. Et vous osez me donner le nom de « traître » ? C’est moi qui ai sauvé votre royaume, espèce d’imbécile. Je ne l’ai pas sauvé pour vous faire plaisir, pas plus que je n’ai sauvé l’empire pour plaire au maître de cet homme, ajouta-t-il en désignant le général keshian. Je l’ai fait pour les innombrables vies qui auraient été perdues sans mon intervention.

« Dites bien à votre père, Patrick, et à votre maître, général, que le port des Étoiles est désormais indépendant. Si l’un de vous deux tentait d’y imposer sa loi, je me verrais dans l’obligation d’intervenir. J’ai donné ma parole aux habitants de l’île et je veillerai à préserver leur indépendance. (Pug tourna les talons et s’éloigna du trône.) Peu m’importe de savoir qui montera sur le trône de votre père, Patrick. Rassemblez donc les fragments de votre couronne et rebâtissez votre nation. Je me moque de vos titres et de vos rangs. J’en ai fini avec votre royaume. (Il écarta les bras et Miranda et Nakor vinrent se mettre chacun d’un côté.) Je renonce à mon titre de duc du royaume. Je retire mon serment de vassalité à la couronne. Je me soucie de choses plus importantes que la vanité ou l’ambition des souverains. Je suis ici pour protéger ce monde en totalité et non en partie seulement.

« Sachez donc que Pug de Crydee n’existe plus. Désormais, je ne suis plus que le Sorcier Noir. Mon île ne sera plus ouverte à ceux qui n’y auront pas été invités. Quiconque croisera au large de ma maison sera en danger et quiconque posera le pied sur mon rivage sans ma permission sera détruit !

Alors, dans un grondement de tonnerre et un épais nuage de fumée noire, il disparut avec ses compagnons.

 

***

 

— Patrick s’est bel et bien fait botter les fesses par notre arrière-grand-père, tu ne trouves pas ? commenta Dash.

— J’ai connu des après-midi plus agréables, reconnut Jimmy.

Ils venaient juste de sortir d’une réunion avec le prince. Il avait été question du retrait des troupes keshianes ainsi que du rapport que Patrick devait faire à son père. La réunion s’était prolongée bien au-delà du dîner jusque tard dans la nuit.

Les deux frères se dirigeaient vers les appartements de Jimmy pour y passer un moment en tête à tête avant d’aller dormir.

— Tu as parlé à Francie ? demanda Dash.

— Non. Je l’ai croisée, mais je n’ai pas eu l’occasion de lui parler.

— Elle a peur que tu ne lui parles plus du tout une fois qu’elle sera mariée à Patrick. Elle ne veut pas perdre ton amitié.

— Ça n’arrivera pas, assura Jimmy. Ce qu’il y a de bien avec cette guerre, c’est qu’elle m’a permis de différencier ce qui est important de ce qui ne l’est pas.

— Je sais, répondit Dash.

Il y avait dans sa voix une note que Jimmy ne lui avait encore jamais entendue.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— C’est juste qu’une personne à laquelle je tenais ne s’en est pas sortie.

Jimmy s’immobilisa.

— Quelqu’un qui comptait beaucoup pour toi ?

Dash se détourna.

— Je ne veux pas en parler maintenant. Un jour, je te raconterai tout, mais pas aujourd’hui.

— Très bien. (Jimmy garda le silence une minute tandis qu’ils reprenaient leur marche dans les couloirs. Puis il reprit :) Je crois que j’ai appris quelque chose et que c’est peut-être important aussi.

— De quoi s’agit-il ?

— Francie est… quelqu’un qui compte beaucoup pour moi. Mais je crois surtout que j’ai envie de partager quelque chose de spécial avec quelqu’un et que je l’avais choisie pour être ce quelqu’un.

— Tu veux vivre une relation comme celle de grand-père et grand-mère ?

— Oui, ils avaient un lien très spécial. Quand je pense à leur relation, surtout comparée à la distance qui existait entre nos parents, ça me donne envie de connaître la même chose.

— Peu de personnes connaissent ce privilège, rétorqua Dash.

Les deux frères arrivèrent devant la porte de Jimmy et l’ouvrirent. Trois personnes étaient assises dans les appartements du jeune homme.

— Entrez et refermez la porte, ordonna Pug.

Les deux frères obéirent.

— Je ne pouvais pas partir sans vous parler à tous les deux, expliqua le magicien. Vous êtes les derniers de ma lignée.

— Je vous en prie, ne formulez pas les choses comme ça, plaisanta Jimmy pour essayer de détendre l’atmosphère.

Miranda se mit à rire.

— Et puis, on a de la famille dans l’Est après tout, renchérit Dash.

Ce fut au tour de Pug d’éclater de rire.

— Vous possédez beaucoup de traits de caractère de votre grand-père, tous les deux. (Il regarda Dash.) Toi, tu ressembles parfois au gamin qu’il était. Et toi, Jimmy, tu ressembles parfois tellement à ma Gamina que j’en ai la gorge serrée.

Il ouvrit les bras. Chacun leur tour, Jimmy et Dash s’avancèrent et lui donnèrent l’accolade.

— Je ne reviendrai pas dans le royaume, à moins qu’une raison bien plus importante que les caprices d’un roi m’y oblige, expliqua Pug. Mais vous êtes de mon sang, tous les deux, et vous et vos enfants serez toujours les bienvenus sur mon île.

— Vous possédez une certaine influence sur le roi. Étiez-vous obligé de couper ainsi vos liens avec le royaume ? protesta Dash.

— J’ai connu le roi Lyam quand il était adolescent, à Crydee. Je connaissais mieux Arutha, mais tous deux savaient ce qu’il y a dans mon cœur. Tout ce que le roi Borric sait de moi, il l’a appris par son père.

— Borric me connaît bien, intervint Nakor, et ma parole a un certain poids en ce qui le concerne. Mais ce que Pug essaye, par délicatesse, de ne pas mentionner, c’est qu’un jour Patrick sera roi, à moins d’une catastrophe inattendue.

— J’évite de faire éclater une dispute encore plus terrible en provoquant cette rupture maintenant, ajouta Pug. Le royaume est en ruine. Les circonstances obligent Patrick à accéder à ma demande. Si cette confrontation avait eu lieu plus tard, combien d’innocents seraient morts pour que je fasse respecter ma volonté ?

— Ce qui ferait de lui un tyran, compléta Miranda. Certes, d’un genre différent de ceux dont nous nous sommes occupés aujourd’hui, mais un tyran tout de même.

— Mais vous vous coupez de tant de choses, protesta Jimmy.

— J’ai visité d’autres mondes et voyagé dans le temps, mon garçon. Et il me reste beaucoup de choses à voir. Ce royaume des Isles n’est qu’un des nombreux endroits qui me sont chers désormais.

— Et s’il le faut, nous reviendrons, ajouta Nakor.

— Bah, nous avons beaucoup de travail à faire et, si vous voulez mon avis, ce que vous faites est juste, déclara Dash.

Pug sourit.

— Je te remercie.

— Je ne peux pas dire que je sois d’accord avec Dash, reconnut Jimmy, mais je sais que c’est votre choix et je ne vous souhaite que du bien. (Il sourit à Miranda.) Dois-je vous appeler arrière-grand-mère ?

— Pas si tu tiens à la vie, répliqua la magicienne avec un sourire.

— Je penserai beaucoup à vous, promit Dash.

— Et moi aussi, ajouta Jimmy.

Pug se leva.

— Prenez soin de vous.

Il tendit la main à Nakor et à Miranda et disparut avec eux.

 

Dash s’assit sur le lit de Jimmy et s’appuya contre son oreiller rempli de plumes.

— Je crois que je vais dormir pendant une semaine entière.

— Alors attends la semaine prochaine, shérif, ordonna Jimmy. Nous aurons beaucoup à faire demain. C’est qu’on a un sacré foutoir à remettre en ordre.

Il regarda par-dessus son épaule et s’aperçut que son frère s’était déjà endormi. Pendant quelques instants il envisagea de le réveiller, puis il haussa les épaules, sortit de la pièce et s’en alla dans l’appartement voisin dormir dans le lit de Dash.

 

Les fragments d'une couronne brisée
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